En tant que chirurgienne, on me demande souvent si je vois beaucoup en consultation de jeunes patient(e)s avec des demandes de traitements esthétiques qui reflètent de plus en plus les normes de beauté standardisée qui dominent la télé-réalité et les réseaux sociaux.
Les selfies et les filtres sont devenus monnaie courante, et les adolescents, ou les jeunes adultes, cherchent à reproduire l’apparence physique des stars ou des célébrités qui font le buzz.
Une quête de perfection physique normée, dont l’impact peut parfois être néfaste pour la santé mentale et émotionnelle : les complexes, des troubles de l’image de soi voire de dysmorphie corporelle (TDC).
Sujet sensible, car en tant que chirurgienne plasticienne, je sais aussi combien la chirurgie esthétique participe, à travers un travail sur le corps, ses formes et ses tissus, à réconcilier l’intérieur avec l’extérieur et à réparer les retentissements psychiques parfois profonds liés à un défaut, une déformation ou une anomalie de développement.
Toutefois, il est intéressant d’explorer les effets de la télé-réalité – et plus largement des médias sociaux – sur la chirurgie esthétique chez les jeunes, en particulier l’influence négative que les réseaux sociaux peuvent avoir sur la construction de soi et la standardisation de la beauté. Il faut également aborder la question de savoir comment les parents peuvent aider leurs enfants à naviguer avec ces pressions sociales et à développer une estime de soi positive qui ne dépend pas seulement de leur apparence physique.
La standardisation de la « beauté » et l’influence négative des images
La télé-réalité, un phénomène mondial, a popularisé une vision très étroite de la beauté, caractérisée par des normes de plus en plus rigides. Les jeunes sont particulièrement exposés à ces images, qui véhiculent souvent des stéréotypes de genre et des idéaux de beauté assez peu réalistes. Ils oublient bien souvent aussi que des heures de maquillages et des éclairages professionnels permettent d’obtenir l’image vue à l’écran.
Et la mode des selfies et des filtres (Snapchat, Instagram, TikTok) n’arrange rien: elle amplifie cette tendance en permettant une retouche facile et instantanée de l’apparence et crée des attentes irréalistes.
Les jeunes sont ainsi confrontés à une forme de « pression » constante pour correspondre à ces normes, ce qui peut entraîner des troubles de l’image corporelle. Ces troubles de l’image peuvent aller loin : la dysmorphie (ou dysmorphophobie) Snapchat est un phénomène qui se caractérise par une préoccupation excessive voire constante pour les défauts de l’apparence, qui peuvent être réels… ou imaginaires.
L’utilisation des filtres peut ainsi conduire à des rêves de chirurgie esthétique, vue comme la solution à tous les problèmes.
La chirurgie et la médecine esthétique : un acte sérieux à ne pas prendre à la légère
Cette pression pour correspondre aux normes de beauté peut pousser les jeunes à recourir à la chirurgie esthétique. Les bouches repulpées – parfois à outrance – à l’aide d’injections, l’augmentation du fessier par injection de graisse, popularisée par Kim Kardashian et bien d’autres après elle, les abdominaux sculptés et autres interventions sont de plus en plus demandés.
Si les injections sont transitoires et relèvent de la médecine esthétique, elles ont, en France du moins, une réglementation stricte, et seuls les médecins sont autorisés à les pratiquer. Récemment, une tendance dangereuse, les “fake injectors”, a fait son apparition : des personnes se font passer pour des médecins sur les réseaux sociaux et proposent des injections à prix cassés en ciblant principalement les jeunes.
Certains adolescents en quête de résultats instantanés se laissent séduire…sans tenir compte des risques – bien réels – mais aussi des implications à long terme.
La télé-réalité – et les médias sociaux – contribuent à banaliser les actes de chirurgie esthétique et de médecine esthétique, en les présentant comme des solutions rapides et faciles pour améliorer l’apparence.
Le culte de l’image nous pousse à nous comparer sans cesse aux autres
Les images véhiculées par les stars de la télé-réalité, mais aussi par les comptes Instagram de millions d’influenceuses en maillot de bain aux fesses et aux seins « parfaits », aux bouches pulpeuses et aux yeux de chat créent une comparaison constante entre nos corps et celui des autres.
Les jeunes, et particulier les jeunes femmes, peuvent développer une vision distordue de leur propre corps, en pensant qu’elles ne correspondent pas aux normes de beauté. Cette comparaison peut conduire à une baisse de l’estime de soi et à des comportements à risque, tels que des régimes restrictifs ou des comportements alimentaires perturbés.
La pression exercée par la télé-réalité et les médias sociaux peut entraver la construction de soi chez les jeunes – notamment à la puberté, une période de construction de soi délicate –, qui perdent alors de vue leur propre personnalité et leur confiance en eux.
En cela, la chirurgie esthétique ne doit pas être considérée comme la solution à tous les problèmes !
Vrais complexes ou simple insatisfaction temporaire : comment faire la différence ?
Je ne pourrais pas dire le contraire : la chirurgie esthétique peut réellement aider à améliorer l’estime de soi chez les personnes souffrant de complexes physiques. Cependant, il est important de faire la distinction entre un véritable complexe et une simple insatisfaction temporaire liée à l’apparence physique, et basée sur des modèles médiatisés.
Si vous remarquez que votre enfant est obsédé par son apparence physique ou qu’il exprime le désir de subir une intervention esthétique, il est important de prendre au sérieux ces signes et de chercher de l’aide professionnelle, si nécessaire. Un conseiller ou un psychologue peut l’aider à développer une estime de soi positive et à traiter les éventuels troubles de l’image corporelle.
Il est important d’écouter attentivement les préoccupations de votre enfant en matière d’apparence physique et de comprendre la source de son insécurité. Si le complexe est réel et a un impact négatif sur la qualité de vie de votre enfant, la chirurgie esthétique peut être une option à envisager, et je serais heureuse de le / la rencontrer pour en discuter.
La consultation : absolument essentielle
En tant que chirurgienne esthétique, je me dois de prendre en compte les pressions exercées sur les jeunes par les médias et de les informer sur les implications et les risques associés à la chirurgie esthétique.
Des consultations approfondies permettent d’informer de façon détaillée sur les traitements, et ainsi aider les jeunes femmes (et les jeunes hommes) à prendre des décisions éclairées quant à leur apparence physique.
Mais je me dois aussi d’écouter attentivement et avec bienveillance. Car l’esthétique du corps n’est pas , dans la majorité des cas, une lubie ! Des jeunes femmes qui souffrent d’hypertrophie mammaire depuis la puberté ou au contraire d’anomalie de développement – asymétries, seins tubéreux – ou tout simplement d’une poitrine qu’elles jugent trop petite, des jeunes qui souffrent d’un nez dont la forme entraine une souffrance profonde, des jeunes hommes qui présentent des seins développés comme des femmes… Tous ces patients ont besoin d’une vraie solution pour mettre un terme à leur souffrance psychologique.
Au travers d’un échange transparent et bienveillant, les parents et moi-même pourront l’aider à prendre une décision éclairée et à comprendre pleinement les implications de la chirurgie esthétique avant de passer à l’acte.
Dans tous les cas, si l’enfant est mineur, l’autorisation parentale est indispensable. Et je me réserve le droit de refuser une opération à un(e) adolescent(e) si j’estime qu’elle est irréaliste ou qu’il/elle souffre de dysmorphobie.
La chirurgie esthétique n’est pas la solution à tous les problèmes d’image corporelle, ni une opération anodine, et la construction d’une estime de soi positive doit être encouragée à tout moment !
Encouragez votre enfant à explorer des alternatives moins invasives et plus sûres pour améliorer son apparence et sa santé, comme l’exercice, une alimentation saine, et une routine de soins de la peau adaptée.